LES MÉMOIRES DE L'ÂME
Ecole de Tarot Initiatique
LES MÉMOIRES DE L'ÂME
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Pan, le dieu Bouc, Le Tout
(L'arcane XV - Le Diable)
Pan, le dieu-bouc né d'une nymphe était si laid que sa mère, tout en prenant soin de l'envelopper dans une peau de lièvre, décida de l'abandonner dès sa naissance. Hermès (possiblement son père ce qui implique son gout pour la connaissance) le transporta dans l'Olympe où il fut accueilli avec joie par les dieux et tout particulièrement Dionysos.
L'ensemble des dieux sourit à l'enfant au pied fourchu et chacun se découvrant une affinité avec lui, le contemplèrent comme un don incomparable.
Malgré cette reconnaissance Pan porte à jamais l'empreinte de l'enfant abandonné qui ne peut changer son sabot fendu pour la patte du lièvre qu'il n'est pas, ni se marier malgré ses multiples accouplements. Et bien que plaisant aux dieux il n'a pas sa place au banquet de l'Olympe.
Grossier, rustre et obscène dans sa partie inférieure, connu pour violer les nymphes et cela sans états d'âmes, il est délicat et orné de cornes spirituelles dans sa partie supérieure ; il personifie de ce fait l'union consciente avec soi-même et  sut ainsi détourner Psyché du suicide lorsque, rendue insolable par la fuite d'Eros, elle décida d'aller se jeter dans le Styx.

Pan personnifie à la fois ce qui est naturel mais également le comportement le plus étroitement lié à la nature, à cette nature inquiétante parlant par des sons, des perceptions et des sensations étranges plutôt que par des mots. Le monde de Pan est donc dans un état continuel de panique subliminale et se révéle  dans une érection constante, brûlante, intime et à l'odeur animale. La nature du Bouc Solitaire n'est en rien  idyllique car son existence  est à la fois isolement, destinée maudite, errance en des lieux déserts et terres en friche. Maître de la nature intérieure et situé dans ses extrêmes, Pan domine les réactions sexuelles et paniques et nous initie par l'apprentissage de la peur, à prendre conscience de notre nature inconsciente et de la sagesse du corps entrant en relation avec le divin.
Pan est la configuration qui relie et empêche les réflexions de se scinder en deux moitiés disjointes, soit le dilemme entre une nature sans âme et une âme sans nature. En maintenant ensemble la nature et la psyché, Pan permet à l'âme, par nature instinctuelle, d'offrir aux événements présents de s'y refléter. Dans l'ignorance de sa nature instinctuelle, de son imagination, de sa réflexion et des intentions psychiques qui lui sont propres, l'accès à l'âme se révèle virtuel et les créations dans le présent des plus incertaines.
L'utopie d'une existence sans crainte, sans anxiété, sans effroi et inaccessible à la panique, signifie une perte de l'instinct, une perte de la relation à Pan, une anesthésie de l'élan vital. En effet l'anxiété et le désir sont les noyaux jumeaux de Pan et la panique, comme la dépression, est enracinée au plus profond de la nature humaine. Par terreur du vide, les voiles de l'illusion empêtrent le désir ontologique d'évolution, le piégeant dans le jeu de miroirs des projections. Aussi, le désert affectif laissé par Dieu lors de son retrait au 7eme jour est-il le lieu d'exploration de Pan ; et là où la conscience se meut avec prudence dans une sagesse inspirée par la crainte à travers les espaces désertiques des paysages intérieurs, Pan arrache l'être à ses zones de facilité, matrices  pétrifiées, jusqu'à l'orée de ces terra incognita.
Alors, la découverte du vide  et du frémissement de la nature dans la friche éternelle de la matière se révèle ; et par cette simple question : « Mais où m'a emmené mon désir ?» l'expérience de la panique s'impose par  l'effraction du numineux.
Chaque nouvelle expérience, chaque nouveau départ vers l'inconnu, chaque nouveau matin est le théâtre de Pan. Errer n'est donc en aucun cas se perdre et correspond aux nécessaires nuits de l'âme précédant le saut vers l'inconnu. Entre moi et l'autre c'est le vide aussi le danger serait de remplir ce dernier d'images d'Epinal. Tragédie signifie : champ du bouc, la solitude de Pan représente la solitude du désir, décanté des ses supports fallacieux. Un « je ne sais quoi » qui rappellerait  la mémoire de l'abandon et l'extrême différence dont le dieu Bouc est à jamais porteur...
Par le viol des nymphes, Pan agissant le corps physique, impose à l'âme l'expérience de l'incarnation. Si en lui-même le viol est une horreur parce qu'il est une transgression archétype, l'acte cependant ramène de l'extérieur vers l'intérieur. Cette transgression représente aussi le lien entre des structures dont la différence est exprimée en termes d'opposés : corps-âme, espace-temps etc.; le viol exprime donc la pulsion du corps vers l'âme, entraînant celle-ci dans le processus d'incarnation en mettant un terme brutal à la division entre l'âme et la vie en chair et en os. La violence maléfique du viol n'est pas tant les attaques visant la destruction de l'objet que dans le besoin de le posséder ; et posséder n'est pas la nature de Pan.
L'interdit, au cœur même de la compulsion, anime le désir l'ouvrant à la transgression dont Pan est l'éternel animateur.  Afin de retrouver constamment la fraicheur du premier acte, Pan oblige à une conquête reconduite. Second acte dont il n'est pas dans sa nature de se réduire à en être l'esclave. Aussi, Pan ne doit-il jamais être considéré sous l'œil de la morale ; rien de ce qui s'y rapporte ne doit être touché ni amélioré, les opposés étant identiques, il en est de même de Pan et des nymphes.
Dans l'évolution du mythe, la lutte entre Pan et Eros et la victoire de ce dernier amène la supériorité morale de l'amour sur le sexe, du raffinement sur le violent, du sentiment sur la passion, du nettoyé sur le naturel, des sciences sur l'inspiration, du maitrisé sur la spontanéité, du chimique sur le brut, du civilisé sur le primitif et les enclot dans une allégorie d'opposition. Cependant, tout comme le monde écrit par Eros et maintenu par cette force ontologique chargé du désir, Pan et la panique appartiennent à la même constellation. La panique est une réponse adéquate à l'irruption d'un numineux quelle que soit la forme sous laquelle il apparaisse.
Dans notre société actuelle l'on peut dire que Pan est mort et qu'Eros, aseptisé et pasteurisé pour trouver sa place ans la société "moderne", a triomphé de la nature sans pour autant avoir acquis l'Esprit. Le politiquement correct et l'uniformisé tente de contrôler la nature par sa volonté. Si la connaissance peut y être convoquée, c'est au prix de la volonté mise en demeure de matraquer l'instinct en allant de l'avant sans distinction, de tâche en tâche jusqu'à l'ultime folie. En effet, avec l'arrivée de la philosophie, du christianisme et de la science, s'annonça la mort de Pan. Il ne fut plus possible de saisir la conscience par le reflet de nos instincts : les pierres n'étaient plus que des pierres, les arbres n'étaient plus que des arbres, les lieux et les animaux n'étaient plus tel esprit ou tel dieu. La nature fut condamnée comme hérétique et l'image de Pan se confondit avec celle du diable, vivant dans le retour du refoulé et des psychopathologies de l'instinct.
Et pourtant Le Diable, décanté de la folie de la religion, a une place, une fonction et un rôle ontologique dans les Ecritures : la transgression. Ses places et fonctions sont rendues légitimes par le fait qu'il est le seul à ne pas être soumis aux bonnes manières et au politiquement correct. Faisant contrepoids aux excès de la Grande-Mère et à sa pétrification, au trop de pureté, il nous permet d'intégrer la nécessité de la petite tache, celle qui nous ouvre à notre humanité. Placée et active au parfait point de césure en attente dans le bon l'espace-temps, la transgression est l'absolue condition à la bonne circulation du flux vital et de son processus.
La confiance contenant en elle-même le germe de la trahison, la transgression  permet également de considérer  la trahison sous son angle salvateur.  En effet la confiance primordiale signifie être dans le paradis sans Eve ; espace-temps de perfection dans une existence enclose, où l'être se sent distinctement et benoitement reconnu avec la certitude que chaque jour le soleil se lèvera et que le plancher le soutiendra, un espace-temps où aucun être ne trahirait mais également où chacun serait à l'abri de ses propres trahisons, erreur, fuite, vol, lâcheté, mensonge à l'autre et à moi même etc.
L'arrivée de Pan représente donc la poussée hors d'Eden, hors de l'illusion du « tout acquis et absolu » et prépare à l'effraction du numineux. L'acceptation de la perte de l'amour primordial, par la sensation du retrait du regard d'amour du Père lors des nuits de l'âme, impose d'aller retrouver ce regard dans les terres inconnues, là où Pan se tend embusqué.
Liée au rythme de la nécessité, donc au temps, la trahison se révèle  comme appartenant à l'ordre du mystère  masculin. En effet,  lors du départ dans les terres en friche de la nature intérieure, sans le retrait du Père, le pas aurait-il vraiment été franchi ? Où n'aurait-ce été qu'un demi, voir un faux pas, soit les pas les plus dangereux ?